Pour la communauté internationale, la vente d’une Pascaline est toujours un évènement exceptionnel. C’est en effet la première machine à calculer de l’histoire qui possède un mécanisme de retenue automatique. Blaise Pascal est né le 19 juin 1623 à Clermont Ferrand. Sa mère meurt quand il a 3 ans. C’est son père, passionné de mathématiques et de sciences qui fera son éducation. Ils montent à Paris en 1631, puis en 1639, s’installent à Rouen. Son père devient commissaire député pour la levée des impôts en Haute Normandie. Accablé par d’incessants calculs administratifs et comptables, Blaise développe l’idée de construire une machine arithmétique pour alléger la charge de travail de son père.
En 1645, après 3 ans de recherches et d’essais, il construit la première machine arithmétique fonctionnelle, avec report automatique des retenues !! Pascal n’est âgé alors que de 22 ans !
Description rapide de la machine
La machine se présente sous la forme d’un caisson dans lequel est renfermé le mécanisme et d’une platine supérieure qui se décompose en deux parties principales : l’inscripteur et le totalisateur. L’inscripteur permet à l’opérateur de poser le nombre à additionner ou à soustraire. Il est composé d’une série de roues étoilées montées sur des axes indépendants, et qui correspondent à un ordre décimal ou monétaire. Chaque roue de l’inscripteur fonctionne un peu comme un cadran de téléphone : le limbe et le butoir sont solidaires du bâti, la roue étoilée est mobile. Pour inscrire un chiffre, l’opérateur place son stylet entre 2 rayons, et tourne la roue jusqu’à ce que le stylet soit arrêté par le butoir. Un rayon correspond à une unité de l’ordre décimal ou monétaire choisi. Pour les deniers, on aura des roues à 12 rayons, pour les sols des roues à 20 rayons, et pour le système décimal classique, des roues à dix rayons ! La rotation de la roue va entrainer le mécanisme. Celui-ci est plutôt simple. On y retrouve des roues à chevilles, qui assurent la transmission des données au totalisateur, des cliquets, qui permettent aux différentes roues de bien se positionner, et des sautoirs, dont la mission est de transmettre la retenue à l’ordre décimal supérieur.
On estime qu’une vingtaine de machines auraient été construites par Pascal. Neuf exemplaires ont été conservés. Ils sont pour la plupart dans des collections publiques, à l’exception de deux machines.
A) Les machines recensées |
Musée des Arts et Métiers, Paris |
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Machine de la reine Christine de Suède |
Machine de Louis Périer |
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Machine du Chancelier Séguier |
Machine tardive |
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Musée Henri-Lecoq, Clermont Ferrand |
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Machine de Marguerite Périer |
Machine du Chevalier-Durant-Pascal |
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Mathematisch-Physikalischer Salon, Dresde, Allemagne |
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Machine comptable |
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Collection privée Parcé |
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Machine d'arpentage
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Réplique Ernest Rognon, 1926
Horloger du Conservatoire des Arts & Métiers |
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Réplique de la machine de la Reine Christine de Suède, British Museum, London
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IBM
Réplique de Roberto Guatelli, 1981 |
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IBM
Réplique des ouvriers d'IBM (source Mourlevat) |
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Les répliques de Pierre Charrier, France |
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La réplique de Jan Meyer (Ebay, 28/10/2012) |
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C) Les répliques vendues comme originales |
Trouver la 10ème Pascaline est un rêve partagé par beaucoup d’entre nous. Il n’est pas impossible, qu’un jour, une machine sorte d’un grenier et qu’elle soit mise aux enchères publiques. Le problème de l’expertise se posera inévitablement. Car plus le prix d’un objet est important et plus il attise la convoitise. Faire passer une réplique pour un original est donc très tentant.
- Vente du 28 mars 2009 / Philip Weiss
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Cette histoire a fait grand bruit et a suscité des débats houleux au niveau de la communauté internationale des collectionneurs (Groupes de discussion). Finalement, la maison de vente a reconnu que cela pouvait être une copie du Dr Guatelli mais a entretenu le doute jusqu’à la fin des enchères. La machine a été vendue 19 000 $, ce qui est un prix très élevé pour une réplique. Dans cette histoire, il n’y avait pas matière à discuter puisque nous possédions des documents et des photos qui prouvaient que c’était une réplique du Dr R. Guatelli.
Vente Breker du 25 mai 2013 |
Le 25 mai 2013, la maison de vente Breker met aux enchères une Pascaline déclarée comme originale. A la seule vue des photos, il apparaissait que quelque chose clochait. Une étiquette en tout point identique à la machine dite de la Reine de Suède, conservée au CNAM, était fièrement collée sur la partie interne de la trappe en bois découvrant le mécanisme. La maison de vente a été immédiatement avertie. Celle-ci, étonnée, a demandé d’argumenter. Ces arguments vous sont présentés ici :
Machine déclarée comme originale (1652) |
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Pourquoi c'est une copie !! |
1) Une histoire d’étiquettes |
L’étiquette collée dans la machine « Breker » est une copie à l’identique de la machine dite de la reine Christine de Suède. Il suffit de comparer les photos pour s’en convaincre. Non seulement le texte est identique, mais le positionnement de chaque mot et la similitude graphologique conduisent à penser que cette étiquette est une copie. On pourrait objecter que rien n’aurait empêché Pascal de construire deux machines identiques et de les vérifier le même jour (même date du 20 May 1652). Il aurait pu recopier par transparence le premier texte pour être certain d’avoir bien caler ses mots sur le second. On observe d’ailleurs de très légères différences, ce qui prouve que ce n’est pas une photocopie. Pascal aurait-il pu construire 2 machines de même modèle, quasi identique, et les avoir vérifiées le même jour ? Admettons … Le problème c'est qu' on a trouvé une troisième étiquette, faite en 1926 par Ernest Rognon, horloger du conservatoire des Arts et métiers. La machine qui porte cette étiquette est visible au Science Museum à Londres.
Etiquettes de l'original du CNAM et de la vente Breker |
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Etiquette de la réplique d'Ernest Rognon, 1926 (Science Museum, Londres) |
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2)
La réplique d’IBM qui fit sensation au Musée Bargoin en 1981 |
En 1981 a eu lieu une superbe exposition au musée Bargoin à Clermont-Ferrand. Toutes les Pascalines furent réunies ! Toutes sauf une, celle d’IBM à 8 chiffres. En revanche IBM vint avec une réplique de la machine dite de la Reine Christine de Suède, conservée au CNAM depuis 1807. Cette réplique fit sensation tant elle était bien réalisée. Mourlevat indique que « la fidélité de la reproduction exécutée par les ouvriers d’IBM fit l’admiration de tous » / Mourlevat, page 44).
Deux photos ont été prises de la réplique. Ces photos sont conservées au CRDP d’Auvergne et sont reproduites dans le livre de Mourlevat planches 44 et 45.
Réplique IBM, présentée au Musée Bargoin en 1981 |
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3) Analyse comparative des platines (réplique IBM/Breker) |
La première chose qui saute aux yeux, c’est leur incroyable ressemblance. Le caisson rectangulaire est en laiton. Le socle est fait d’un bois simple. Il y a 6 roues décimales à l’inscripteur. Les rangs décimaux sont gravés sur une barrette fixée par quatre rivets. On peut lire de droite à gauche : « Nombre cinple, dixainne, cantainne, mille, dixainne de mille, cantainne de mille » Notons à ce sujet que la typographie est absolument identique sur les deux machines, mais nous y reviendrons plus tard. Une barrette amovible permet de cacher partiellement les lucarnes du totalisateur (Numérotation complémentaire). Les limbes sont gravés sur leur circonférence. Ils portent chacun une série de chiffres allant de 0 à 9. De petites rondelles de soustraction sont placées sur les roues étoilées et donnent le complément des chiffres inscrits sur les limbes. On remarque deux petites marques sur deux rayons contigus de chaque roue. Ce système permet de simplifier la remise à zéro. La fixation de chaque roue est renforcée par une petite pièce ouvragée fixée par une vis, ce qui est spécifique. Il n’y a pas d’écusson. Au nombre des différences, nous pourrions noter que la machine Breker a un aspect vieilli. D’autre part, les pièces ouvragées qui renforcent le maintien des roues sont plus finement ciselées sur la machine Breker, mais leur contour général semble identique.
4) Comparaison des inscriptions sur les barrettes indiquant les rangs décimaux CNAM / IBM / Breker |
Etant donné que la réplique d’IBM avait été présentée au musée Bargoin en 1981 dans le but de faire sensation, on imagine sans peine que celle qu’elle a voulu imiter lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Il existe cependant un élément qui permet nettement de les différencier. Cela tient aux caractères typographiques gravés sur les barrettes. Ils sont complètement différents sur la machine du CNAM. L’écriture y est plus fine, moins bien centrée. Sur la réplique IBM, en revanche, les caractères sont plus épais et surtout parfaitement centrés. La machine Breker est exactement identique sur ce point à la réplique IBM, ce qui laisse penser que c’est la même personne qui les a fabriquées.
5) L’erreur de la « Dixainne de mille » |
Sur la machine du CNAM, l’orthographe des mots est un peu particulière : « Nonbre cinple, Dixainne, Dixaines de mille … ». Concernant le mot Dixainne / Dixaine, il semble que les deux étaient indifféremment utilisés au 17ème siècle. Sur la réplique d’IBM, le constructeur a commis une petite erreur de copie en inscrivant « Dixainne de mille » à la place de « Dixaines de mille », comme cela est gravé sur la machine de la Reine Christine de Suède (CNAM). Cette petite erreur n’a rien de grave en soi, sauf que la machine Breker comporte également cette erreur ! Ce qui est compromettant pour elle et remet en cause son originalité.
La réplique d’IBM et la machine de Breker sont-elles des petites sœurs fabriquées par les mêmes mains passionnées ?
Les "Dixain(n)es de mille |
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CNAM, réplique IBM, Breker
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6) Chiffres gravés sur les limbes |
En comparant les chiffres gravés sur les limbes de la réplique IBM et sur ceux de la machine Breker, on s’aperçoit qu’il y a des ressemblances troublantes. L’exemple du chiffre 2 est à ce sujet très révélateur. Sur la machine IBM, celui-ci a été « gravé » avec une inclinaison différente sur le limbe des Centaines et sur celui des Mille. Or on retrouve cette même inclinaison sur la machine Breker !! Ce qui est fort troublant.
Les limbes |
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Etude sur le chiffre 2
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7) Chiffres écrits sur les cylindres du totalisateur |
On observe une ressemblance graphologique assez marquée entre les deux machines. Par exemple, sur l’un des cylindres (celui des mille) de la machine IBM, le chiffre 8 est plus épais au niveau de sa partie supérieure. Il en est de même sur la machine Breker.
Les cylindres du totalisateur |
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Breker vs réplique IBM
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Toutes les machines de Pascal ont des baguettes entourant leur caisson, à la fois en partie basse et en partie haute. Plusieurs machines ont vu leurs baguettes supérieures disparaitre mais elles conservent toutes des trous de fixation (rivets). Hors, ni la réplique IBM, ni la machine Breker n’en possèdent. Rappelons encore que les « ouvriers » qui ont fabriqué la réplique IBM d’après la machine du CNAM ont vraiment essayé de la copier au mieux. Comme celle-ci ne possédait plus de baguette supérieure, ils n’ont pas jugé nécessaire d’imiter les trous, tout simplement…
Les trous de fixation |
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Machine du CNAM
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9) Position des vis de fixation |
Le positionnement des vis de fixation de la platine est identique sur les machines Breker et IBM. Les vis sont alignées aux croisements des filets verticaux et horizontaux, ce qui n’est pas le cas pour la machine originale du CNAM.
Vis de fixation |
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Breker vs IBM vs CNAM
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9) Le butoir restauré de la machine du CNAM |
Le butoir du rang des dizaines a été restauré sur la machine du CNAM. IL est probable que cette pièce ait été complètement refaite. La réplique IBM, tout comme la machine Breker ont copié cette particularité, ce qui rajoute au doute sur leur originalité !
Vis de fixation |
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Breker vs CNAM
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10) De nouvelles répliques IBM |
Il s’avère que plus on cherche, plus on trouve de répliques qui ressemblent aux répliques !! De quoi avoir la tête qui tourne. Celles qui sont photographiées sont toutes trois des machines de chez IBM. Elles ont certes des petites différences, mais ont surtout beaucoup de ressemblances !! La typographie visible sur la barrette qui indique les rangs décimaux sont identiques, et identiques à la machine Breker.
Plein de petites soeurs |
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N=3
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Ces observations mettent à mal le caractère original de la machine vendue par Breker le 25 mai prochain. Il y a urgence à compléter ce travail d’enquête pour faire éclater la vérité. Il semblerait bien que la réplique d’IBM ait eu des petites sœurs, ce qui, en soit n’est pas un crime, dès l’instant où elles sont identifiées comme étant des répliques. Il est vrai que la machine "Breker" est magnifique et qu'elle a été remarquablement construite. Personne ne peut le nier ! Et certaines oeuvres copiées sont parfois plus belles que les originales !! Mais une réplique est une réplique !
Concernant les similitudes entre les machines au niveau des chiffres gravés sur les limbes, on peut se poser la question de savoir si ces pièces ont été gravées ou si elles ont été moulées ? Dans le cas d’un moulage, on pourrait se laisser aller à l hypothèse que plusieurs matrices ont été réalisées et qu’elles ont servie a reproduire des dizaines de limbes. Cela expliquerait le fait que l’on retrouve des limbes quasi identiques sur des machines différentes. D’autres parties ont-elles été aussi moulées ? Il faudrait retrouver une des ces ouvriers d’IBM pour le savoir !!
Finalement, la maison de vente Breker a corrigé son annonce. A la lumière d'analyses scientifiques, celle-ci serait un modèle d'après l'original (1652) datant des années 20... C'est toujours plus vendeur que de la présenter comme une réplique des années 70 ... Nous en apporterons la preuve un jour ou l'autre !
A suivre ...
/ Valéry Monnier
Serge Roube
Sources documentaires et photographiques
Musée des Arts et Métiers, Paris (CNAM)
Musée Henri-Lecoq, Clermont-Ferrand
Mathematisch-Physikalischer Salon, Dresde, Allemagne
Science Museum, Londres
IBM
Collection Parcé
Auction Team Breker, Cologne
www.ami19.org
2013
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